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Affaire Karachi : rejet du pourvoi de l’ancien ministre

Pénal - Procédure pénale
23/06/2021
L’Assemblée plénière, le 4 juin 2021, a rejeté le pourvoi formé par un ancien ministre contre l’arrêt de la Cour de justice de la République l’ayant condamné pour complicité d’abus de biens sociaux à deux ans d’emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d’amende.
Un ancien ministre est suspecté d'avoir participé à la mise en place d’un réseau d’intermédiaires chargés de favoriser la signature de contrats d’armement conclus avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan, avec des conditions de rémunération anormales, qui ont permis de générer des rétro-commissions destinées au financement de la campagne électorale présidentielle d’un ancien premier ministre en 1995.
 
La Cour de justice de la République est saisie en 2019 pour juger l’ancien premier ministre et l’ancien ministre. Les intermédiaires concernés et d’autres personnes ayant pris part à l’organisation de la fraude font l’objet de poursuites devant les juridictions de droit commun.
 
Le 4 mars 2021, la Cour de justice de la République a condamné l’ancien ministre pour les faits de complicité d’abus de biens sociaux à deux ans d’emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d’amende. Elle a relaxé l’ancien premier ministre qui était poursuivi pour les mêmes faits et pour recel.
 
L’ancien ministre a formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour de justice de la République. Sept moyens vont être étudiés, et rejetés. Ils portent sur :
- la notification du droit de se taire ;
- la décision d’une juridiction de renoncer à l’audition de témoins cités par le ministère public ;
- la prescription des faits de complicité d’abus de biens sociaux ;
- l’exception de nullité prise du dépassement du délai raisonnable ;
- la caractérisation du fait principal par la Cour de justice de la République ;
- la caractérisation de la complicité d’abus de biens sociaux ;
- sur la peine d’amende.
 
La notification du droit de se taire
L’article 406 du Code de procédure pénale prévoit que le droit de se taire doit être notifié au prévenu en début d’audience. Disposition applicable devant la Cour de justice de la République, conformément à l’article 26 de la loi organique du 23 novembre 1993 précise l’Assemblée plénière.
 
La chambre criminelle ayant déjà précisé que l’absence de notification fait nécessairement grief au prévenu, par dérogation à l’article 802 du même Code qui prévoit qu’une nullité ne peut être prononcée que lorsque l’irrégularité dénoncée « a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ».
 
Précision s’agissant de la notification du droit de se taire qui intervient tardivement : « après des débats liminaires portant sur une demande présentée, au début de l’audience, par une autre partie, et au cours desquels il n’a pas pris la parole », le prévenu doit établir en quoi cette irrégularité a porté atteinte à ses intérêts.
 
En l’espèce, la Cour de cassation note que l’intéressé n’a pas rapporté la preuve d’un grief résultant de son droit de se taire.
 
« Au-delà de ce cas d’espèce, la solution pourrait donc s’appliquer aux procédures de droit commun en matière pénale » précise le communiqué de la Cour de cassation.
 

Six autres moyens portant sur des questions de procédure et de fond rejetés
Sur la décision d’une juridiction de renoncer à l’audition de témoins cités par le ministère public, la Cour de cassation rappelle que les juges doivent motiver leur décision de refus « s’ils sont saisis par des conclusions, régulièrement déposées, exposant l’utilité de leurs témoignages ». En l’espèce, ces témoins ont été cités par le ministère public, lequel a aussitôt renoncé à leur audition, et l’intéressé n’a lui-même saisi la juridiction d’aucune demande de comparution ou d’audition de témoins ni « n’expose pas en quoi la décision de ne pas ordonner l’audition de témoins cités par le ministère public porterait atteinte à ses intérêts ».
 
Sur la prescription des faits de complicité d’abus de biens sociaux commis entre 1993 et 1995, la Cour note que « l’exception de prescription a un caractère d’ordre public et peut, à ce titre, être soulevée à tout moment ». Et « lorsqu’elle est invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, elle n’est recevable qu’à la condition que la Cour trouve dans les constatations des juges du fond, (…), les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur, à défaut de quoi le moyen pris de la prescription de l’action publique est nouveau et mélangé de fait et de droit, et comme tel irrecevable ».
 
En l’espèce, l’intéressé n’ayant pas « excipé de la prescription de l’action publique » devant les juges du fond, la Cour doit donc examiner si elle trouve dans leurs constatations les éléments permettant de constater la prescription de l’action publique. Tel n’est pas le cas. Conclusion : « Il résulte de ces constatations, dénuées d’insuffisance comme de contradiction, que la Cour de justice de la République a exactement fixé le point de départ de la prescription au 21 septembre 2006, de sorte que l’action publique n’est pas prescrite »
 
S’agissant de l’exception de nullité prise du dépassement du délai raisonnable en raison de la durée excessive de la procédure, la Cour rappelle que les exceptions de nullités doivent être présentées « avant toute défense au fond » en application de l’article 385 du Code. Néanmoins, « Il ne ressort ni des mentions de l’arrêt ni du mémoire adressé à la Cour de justice de la République avant l’ouverture des débats par M. [Z] que ce dernier a saisi cette cour d’une exception de nullité prise du dépassement du délai raisonnable en raison de la durée excessive de la procédure ».
 
Sur la caractérisation du fait principal punissable, la Haute juridiction rappelle que la complicité « suppose l’existence d’un fait principal punissable qu’il appartient aux juges du fond de caractériser en tous ses éléments, sans considération pour la situation de l’auteur de ce fait principal au regard des poursuites » en application des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal. En l’espèce, la Cour de justice de la République a recherché si le fait principal était caractérisé, à savoir le délit d’abus de biens sociaux dont la complicité est reprochée à l’intéressé, sans se prononcer sur la culpabilité des auteurs. Elle n’a pas outrepassé sa compétence.
 
Ainsi, sur la complicité, la Cour de justice a, relevant de son pouvoir souverain, et de ces motifs, exempts d’insuffisance comme de contradiction, « sans inverser la charge de la preuve, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les abus de biens sociaux dont la complicité est reprochée à M. [Z] et justifié sa décision ».
 
Enfin, sur la peine d’amende, l’Assemblée plénière précise que selon l’article 485-1 « l’amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges ». La Cour de justice de la République, procédant de son appréciation souveraine et n’étant pas saisie de conclusion l’invitant à modérer le quantum de la peine en raison d’une durée excessive de la procédure, « a justifié sa décision ».
 
Les moyens sont tous rejetés, l’arrêt de la Cour de justice de la République condamnant l’ancien ministre est confirmé.
 
 
 
Source : Actualités du droit